Jean-Christophe Rufin restitue le monstre sacré en héros libre, goinfre et vivant dans un petit livre odyssée.
Oubliez un instant le farniente, le rosé piscine et les polars scandinaves. Cet été, Jean-Christophe Rufin vous fait emboîter les pas bottés d’Alexandre Dumas, d’auberges enfumées en cavaliers héroïques (en collants), de plumes en clairs de lune, de chandelles qui tremblent en répliques taillées comme des lames. Plus qu’un hommage ou un exercice d’admiration, ce petit livre, qui accompagne la série estivale de France Inter, est une odyssée fraternelle et décoiffante sous le front-planète d’un monstre sacré de la France éternelle, ombrageuse, bagarreuse et galante. Parce qu’« il écrit comme on vit une tempête : sans retenue, sans peur du naufrage », dit Rufin ; parce qu’il est d’un autre siècle, peut-être, mais qu’il est surtout de tous les temps (pour mémoire, juste après Shakespeare, Dumas est l’auteur le plus adapté au monde sur grand et petit écrans. La Reine Margot : 4 adaptations. Le Collier de la reine : 12. Le Comte de Monte-Cristo : 14. Les Trois Mousquetaires : plus de 40) ; parce que, « plus que français, il est européen, plus qu’européen, il est universel », disait Hugo ; parce qu’il féconde toutes les âmes, tous les cerveaux et toutes les intelligences, Dumas, cet ogre, ce forçat, ce « moi énorme, débordant, mais pétillant d’esprit », disaient les Goncourt, ce « volcan de livres en éruption », disait Maupassant, excessif en tout, raisonnable en rien, pétri d’humour et de bienveillance, impulsif, impétueux, capable d’autant d’âneries que de coups de génie…, ne faisait pas de la littérature, il « écrivait avec la vie ». Loin de la solennité du panthéon littéraire, Rufin restitue un Dumas charnel, libre, goinfre et vivant qui « a tout exagéré : sa vie, ses livres, ses repas. Mais cette démesure n’est-elle pas au fond la forme la plus pure de la liberté ? ». De l’enfant métis, fils d’un général noir de la Révolution, à la machine littéraire qui dictait ses romans à la chaîne, de l’homme politique engagé au dramaturge flamboyant, Rufin dit tout et se prosterne aux pieds du « petit sauvage », inventeur d’un monde et d’un style qui transforma l’Histoire en épopée. Alors, si cet été la chaleur est à pleurer et que l’humeur tourne au vinaigre, si la lumière vous manque, si vous avez faim, grand faim, de gibier mais surtout de joie, d’action, d’héroïsme sans la frime et de ce panache qui n’est pas un effet mais un effort, lisez ce petit livre bleu comme une orange qui donne envie de relire les grands, follement, sabre au clair, babines rieuses et cœur battant.
PAR MARINE DE TILLY